Comprendre la bande à Baader avec le cinéma de Jean-Gabriel Périot

 

Réalisateur du film Une jeunesse allemande, présent en ce moment dans les salles, Jean-Gabriel Périot se sert de la mémoire collective et des ressources visuelles pour s’interroger sur la Fraction de l’Armée Rouge (RAF), de l’origine aux violences armées. À travers un long-métrage constitué uniquement de séquences d’archives télévisuelles et cinématographiques, le cinéaste nous transporte à travers la mémoire de la violence, de la contestation politique, et de l’Histoire.

Le temps d’un long-métrage, et l’on arrive à comprendre les tenants et les aboutissants de ces protestations. Jean-Gabriel Périot démontre par l’image le décalage absolu entre une jeunesse éduquée et une génération précédente bafouée. Le national-socialisme doit être oublier pour que cette jeunesse puisse revendiquer une idée de gauche idéale et l’oubli de l’obscurantisme. Le passage entre l’engagement collectif et la contestation violente est particulièrement bien mis en scène et montre comment les protagonistes les plus extrêmes se sont radicalisés. Le documentaire permet aussi de réfléchir à notre propre vision de la société : « Cette société considère toute protestation pacifique, une manifestation ou un film par exemple, comme la confirmation de sa soi-disant tolérance ». Nous, spectateur, avons le devoir de se questionner sur notre société actuelle. A-t-elle réellement évolué depuis ces événements ?

Outre un documentaire fictionnel par son montage, être un jeune spectateur est intéressant. D’abord, il ne serait pas étrange de pouvoir établir un parallèle avec notre génération. On retrouve une dénonciation du système, certes moins importante aujourd’hui, mais qui affirme le pouvoir de la jeunesse sur une société qui va mal. On peut citer par exemple ces jeunes évoquant ce magnat de la presse qui détient prêt de 40% des médias allemands à l’époque. La génération contemporaine s’insurge et s’attaque à cet empire. Aujourd’hui, le parallèle ne serait pas anodin. Ce qui braque les jeunes à l’époque nous insurge différemment aujourd’hui. 
Qu’est-ce qui fait que nous sommes en grande partie moins engagés ? Sommes-nous tout simplement plus individualiste ? À ces questions, le documentaire ne répond pas, mais il a au moins la force de nous y faire réfléchir.

Dans Eût-elle été criminelle…, vous parliez de la tonte des femmes. Dans The Devil, vous mettiez à l’honneur les Black Panthers et dans 200 000 fantômes vous relatiez des faits suite à Hiroshima. Cette fois-ci, votre premier long-métrage retrace, à travers des images d’archives, la formation de la bande à Baader et la Fraction armée rouge. Pourquoi cette fascination pour l’histoire de la violence ?

Ce n’est pas une fascination en fait, c’est plutôt un endroit sur lequel je m’interroge tout le temps. C’est même le contraire d’une fascination puisque c’est parce que je ne comprends pas les violences que c’est presque l’unique sujet de mon travail et de mes films. Mais, chaque film me permet d’aborder différemment les processus de violence, il n’y a pas un seul type de violence ou une seule manière de l’interroger.

Vous travaillez beaucoup sur la mémoire et les traces visuelles qui restent de l’Histoire et de la société contemporaine aux événements. Vous considérez-vous comme un historien du visuel ou plutôt comme un narrateur utilisant les archives et autres sources pour raconter un témoignage, une histoire ?

Un peu des deux… Je ne me considère pas du tout comme historien, ni visuel, ni tout court, même si pour faire de tels films je dois un temps devenir historien. Mais ce qui est important pour moi, c’est tout autant de parler des événements passés que de la manière dont ils ont été représentés. Ça pose plusieurs questions : Comment filme-t-on l’histoire en cours ? Comment les images tournées agissent, ou pas, sur la mémoire collective ? Pourquoi certaines images restent dans la mémoire et d’autres sont oubliées ? Comment l’histoire se construit ou est construite ? Depuis l’invention de la photographie mais surtout du cinéma, l’image est devenue l’un des moyens les plus puissants pour raconter le monde et construire l’Histoire.

Paradoxalement, travailler avec les images d’archives me permet de raconter au spectateur des événements historiques mais de manière contemporaine. Quand on regarde une vidéo on n’est pas dans le passé, on est dans un acte au présent, quand bien même les images elles sont datées. C’est en jouant sur cet espace brouillé entre passé des images et présent du spectateur que je peux ramener à aujourd’hui des histoires qui finalement font écho avec le monde contemporain dans lequel nous habitons.


Est-ce que réaliser un premier long-métrage avec des images d’archives a toujours été un souhait ou est-ce que c’est venu au cours de vos idées ?

Le projet de faire un long métrage est venu du sujet en lui même. Jusqu’à maintenant dans mes courts-métrages, je n’utilisais que des photographies ou des plans tirées d’archives diverses, je n’utilisais jamais des extraits complets. Au contraire, pour Une jeunesse allemande, j’avais besoin de donner à voir des extraits assez longs pour montrer d’où il venait (d’émissions télévisées, de films documentaires, de fictions etc.) Je voulais avec ce film interroger le langage. C’était la première fois que j’ai eu envie de donner à entendre des discours, des dialogues alors que jusque là mes films étaient muets (seul du son ou de la musique étaient donnés à entendre). Je voulais aussi interroger les différents langages visuels, que ce soit ceux de la télévision ou du cinéma. Du coup, les extraits sont assez longs pour que l’on puisse reconnaître les sources dont ils sont issus. Du coup, à partir du moment où je décidais de donner du temps à chaque extrait, j’arrivais logiquement à un format long-métrage.


Dans Une jeunesse allemande, par l’utilisation des séquences et de différents médias, c’est comme si vous faisiez d’Ulrike Meinhof (une des combattantes les plus actives de la RAF et à l’origine de sa création) un personnage principal de fiction. Le montage des images d’archives amène à une construction très narrative et fictionnelle. Meinhof était considérée comme le cerveau de la RAF alors est-ce que c’était sa position qui vous a motivé à en faire le premier rôle ou est-ce que c’est la découverte d’archives sur elle qui vous a donné envie de la mettre en avant ?

Il y a une singularité dans ces archives qui renforce cet aspect fictionnel du long-métrage. Dans les films que les futurs fondateurs de la RAF ont produits ou dans les émissions télé dans lesquels ils apparaissent, ils se mettent toujours en scène. Par exemple quand Ulrike Meinhof parle à la télévision, elle joue un rôle, elle n’est pas tout à fait elle-même. On voit Meinhof journaliste, mais on n’apprend rien de ce qu’elle pouvait être dans sa vie privée. Nous n’avons accès qu’à une facette de sa personnalité.

Certains de ces fondateurs de la RAF étaient des figures de la politique ouest-allemande à la fin des années 60, ils pouvaient s’exprimer dans les médias et notamment à la télévision. Par exemple, quelqu’un comme Ulrike Meinhof avait pleinement conscience que la télé était un média de grande écoute, elle se faisait un devoir d’y aller pour y exprimer son point de vue et tenter de convaincre les téléspectateurs. On peut aussi voir que c’était quelqu’un d’assez important dans la société ouest-allemande car, justement, elle était invitée souvent à la télévision. Après, ces interventions sont étonnamment marquantes, la manière dont elle s’exprime, ce qu’elle raconte dénote un caractère et une conviction très forts. Avant même de fonder la RAF, elle est déjà presque iconique, elle a marqué les esprits d’alors. Ensuite, comme elle passera à la télévision presque jusqu’aux jours précédents la fondation du groupe, on peut aussi apercevoir dans les extraits que j’ai utilisés quelque chose d’assez dramatique et de touchant. Plus le temps avance, plus elle semble fragile, plus elle perd son assurance et sa conviction. Ce sont ces images en particulier qui lui donnent un poids considérable dans le film. On a l’impression de ressentir un parcours intérieur qui se délite à travers les séquences. De telles images n’existent pas pour les autres protagonistes du film. Tout cela, non seulement les archives existantes mais aussi ce que ces archives nous donnent à voir d’Ulrike Meinhof, lui donnent une place singulière dans le film.

Elle a presque délaissé sa véritable personnalité pour paraître comme la RAF le voulait.

Je ne sais pas comment ça se joue mais après la fondation de la RAF, elle se construit un autre personnage, celui de la révolutionnaire, qu’elle n’était pas en réalité. Elle n’était d’ailleurs pas très bonne et plusieurs anecdotes l’affirment. Par exemple, dès que le groupe faisait des braquages de banque, c’était elle qui ramenait le moins d’argent. Ce n’était pas une femme d’action.


Vous avez fait dans Télérama une comparaison avec le 11 septembre, et en particulier les engagements de Bush en Irak avec le Patriot Act. Quel a été le processus pour permettre cette comparaison ?

On voit qu’en Allemagne de l’Ouest, la RAF sert de prétexte de justification à de nombreuses lois liberticides – comme le Patriot Act de Bush – , qui n’auraient jamais été votées sans les actions terroristes de la RAF. Bush a utilisé les attentats du 11 septembre comme excuses pour faire voter cette loi ayant des conséquences sur l’ensemble de la société américaine et pour intervenir militairement en Irak et en Afghanistan.

Aux États-Unis avec Bush ou en Allemagne de l’Ouest pendant les années 70, ces lois censées être anti-terroristes n’ont jamais empêché le terrorisme ! Ce n’est d’ailleurs même pas leur objet. C’est parce qu’il y a de la peur et de l’angoisse, légitimes face aux attentats mais attisées par les gouvernants, que de tels projets ou propositions de lois peuvent être votés sans débat et sans opposition alors que dans un autre contexte, elles seraient simplement inimaginables.


Le mot terroriste, dans l’époque contemporaine, est très déshumanisé. C’est parfois difficile de qualifier cette bande d’étudiants de terroristes alors que l’image contemporaine, faussée, est pire.

C’est ce que je voulais montrer justement. Quand on ne connaît rien de son histoire, la première idée ou image que l’on a de la RAF, plutôt dans ce cas-là de la bande à Baader, c’est celles de terroristes allemandes hyper violents. On considère instinctivement cette violence comme aveugle. Ce que je voulais montrer justement était qu’il y a un parcours logique qui les a conduit à commettre des actes violents, qu’ils ont des motivations. Ils se trompent dramatiquement, mais pour autant, ils ne commettent pas des attentats juste pour satisfaire un penchant naturel qu’ils auraient pour la destruction. Si on reprend les attentats du 11 septembre, les terroristes qui les ont perpétrés, ne l’ont pas fait juste pour s’amuser, se suicider ou simplement tuer des inconnus. On peut être en profond désaccord avec leurs actes ou leurs idéologies, mais pour autant, nier qu’ils sortent de nulle part, qu’ils sont simplement malades ou que ce sont des sanguinaires, ne résout rien et ne permet surtout pas de comprendre d’où cette violence peut s’originer. Au contraire, il faut toujours réfléchir aux origines de la violence parce qu’alors on se rend compte que ces irruptions de violence extrême sont toujours conséquentes à des problèmes politiques qui nous concernent tous, même si aucun d’entre nous n’a envie de s’y confronter.

Ce qui est unique dans l’histoire de la RAF, c’est cette énorme matière visuelle qu’ils nous ont laissée avant de basculer dans la lutte armée. Cela me permettait de donner à voir aux spectateurs comment ces futurs perpétrateurs voulaient se présenter, comment ils analysaient le monde dans lequel ils vivaient, d’une certaine manière de donner à voir qui ils étaient. Et ce qu’on voit est très loin de l’idée que l’on se fait quand on entend le mot terroriste. C’est beaucoup plus complexe que ce que ce mot induit.


C’est peut être aussi les séquelles d’une société qui a vécu la Seconde Guerre Mondiale. La population attendait un changement dans la politique vis-à-vis de la société qui n’est jamais venu. C’est sans doute le fondement des revendications populaires radicales.

Oui, et les revendications des jeunes manifestants de la fin des années 60 n’ont pas été entendues. On ne peut pas réécrire l’histoire mais si les étudiants ouest-allemands ne s’étaient pas faits matraquer à chaque fois qu’ils manifestaient, s’il y avait eu des changements comme ceux qui ont été faits en France après les accords de Grenelle – même si c’était imparfait -, les événements ne se seraient pas déroulés ainsi. Les étudiants ouest-allemands se sont vraiment retrouvés seuls, personne dans la société ne partageait ni leur analyse ni leurs désirs d’émancipation et de changement de société. Un des seuls résultats de presque deux ans de mouvement de contestation a été 10 000 étudiants en prison… La radicalisation d’une partie de la jeunesse ouest-allemande est vraiment la conséquence de la répression très dure que la RDA a fait subir aux étudiants.


Le film fait preuve d’un exercice de montage assez complexe puisqu’il faut réussir à créer un récit proche de la fiction dans sa construction avec seulement des images d’archives. Comment s’est effectuée la recherche des documents et ressources ?

C’est un travail de plusieurs années ! Sur un tel projet, la recherche des archives prend beaucoup plus de temps que le montage lui-même. En Allemagne, les archives audiovisuelles sont éparpillées. En France on a la chance d’avoir un organisme comme l’INA par exemple qui recense l’ensemble de la production télévisuelle française. Mais rien de tel que l’INA n’existe en Allemagne. Quand je cherchais un extrait précis de télévision, il fallait que j’aille dans toutes les télés allemandes pour savoir si c’était eux qui l’avait, en prenant de plus en considération le fait que beaucoup des images que je cherchais étaient possiblement perdues ou non répertoriées…

Pour réussir à retrouver ces archives, il m’a fallu faire un vrai travail d’historien et d’archéologue. Il fallait trouver un maximum de renseignements sur chaque extrait pour réussir à les trouver. Le moindre indice était essentiel pour délimiter les recherches. La plupart des images dont j’avais besoin n’avaient jamais été utilisées depuis qu’elles avaient été produites. Même les responsables des archives n’avaient aucune idée qu’ils puissent avoir de telles archives dans leurs fonds…

Une fois des archives trouvées, il fallait reprendre des recherches. En effet, parfois ces documents traitaient de sujets que je ne connaissais absolument pas, ou présentaient des gens qui m’étaient inconnus. En fait, à chaque fois que j’avançais, en trouvant de nouveaux indices ou de nouvelles archives, d’autres questions se posaient. Mais les années passant, petit à petit, ça se ressert. Le montage se précise, les recherches également. C’est comme un effet d’entonnoir. Au début ça part dans tous les sens, mais progressivement tout devient de plus en plus précis.

Vous finissez le film par un extrait de L’Allemagne en automne de Fassbinder. Est-ce une façon de terminer un récit de violence par le cinéma ou plutôt de dire que l’art avait un rôle prépondérant dans la compréhension ?

Dès le début du projet, j’avais décidé que les deux premiers tiers du film seraient constitués avec les images des futurs fondateurs de la RAF, avec très peu de contradictions. Je voulais que ce soit eux-mêmes qui expriment le monde dans lequel ils vivaient, avec leur propre point vue. La dernière partie du film, une fois qu’ils passent à l’action violence, est racontée par la télévision, lieu d’expression du pouvoir. D’un côté comme de l’autre, on a des images asservies à un discours politique. Le cinéma et la télévision sont astreints à leur possibilité d’exprimer des idéologies.

Du coup, je ressentais vraiment le besoin de finir le film par une autre manière – ici le cinéma – de raconter l’histoire en cours. Dans cet extrait de Fassbinder, il y a de l’hystérie, de l’horreur, des cris, du corps, de l’engueulade, mais aussi du silence, de la nudité etc. Fassbinder nous raconte ce qui a pu se passer mais à sa façon. Il nous offre une autre manière de sentir et se questionner le réel. C’est une manière sans aucun doute plus flottante, moins affirmée, mais qui nous renseigne d’une manière différente et plus intime sur l’histoire. Le cinéma, quand il utilise toutes les possibilités qui s’offrent à lui, des plus poétiques et abstraites aux plus affirmatives, est un outil de compréhension du monde unique.


On ressent clairement que les images sont une forme d’expression politique et révolutionnaire. Est-ce que vous pensez, qu’aujourd’hui, le cinéma et la télévision permettent une liberté d’expression politique comme au temps de la RAF ?

La télévision, c’est sûr que non. On voit dans le film qu’à partir des années 60/70, il y a eu un changement. Avant, la télévision était un peu comme de la radio filmée qui prenait son temps. Mais tout s’est accéléré dans les années 70 pour arriver à une télévision ressemblant à celle d’aujourd’hui. Un média où aucun temps n’est laissé à la pensée et à l’intelligence. Le cinéma a aussi beaucoup changé. On peut toujours l’utiliser pour exprimer des questions politiques mais très peu de places est laissé à un cinéma qui se revendique politique, encore moins quand il se revendique militant ou engagé. De même que très peu de cinéastes s’intéressent au cinéma comme outil d’expression ou de questionnement politiques. Ce qui est contradictoire aujourd’hui, c’est que d’un côté, il y a un public réel pour les films politiques mais, d’un autre côté, ceux-ci sont toujours critiqués. Un film ouvertement politique est souvent déconsidéré, comme un peu sale. Pourtant, je pense que si le cinéma n’a pas à être toujours astreint à ses possibilités d’expression du politique, l’absence criant de films politiques aujourd’hui est problématique. Mais ça va probablement changer avec les réalisateurs qui arriveront bientôt !


Est-ce que vous pensez que les médias de l’époque influençaient les spectateurs ou permettaient plutôt une réflexion personnelle de chacun afin de construire sa propre vision des choses ?

Dans les années 70, à partir du moment où Ulrike Meinhof passe à la lutte armée, on voit nettement qu’elle devient un problème pour le pouvoir en place. Les premières années d’existence de la RFA, les hommes politiques et la télévision sont assez perdus dans tout ça. On ne qualifie alors presque jamais les membres de la RAF de terroristes, on emploie plutôt d’anarchistes ou d’extrémistes, en tout cas des mots qui portent encore une certaine idée de l’action politique. Mais à partir de 1975/76, on commence à les appeler « terroristes » ce qui parachève de les décrédibiliser politiquement. Et ce mouvement que l’on voit à l’œuvre dans le film nous amène à la télévision d’aujourd’hui. Il n’y a plus jamais de contrepoints, aucun temps ne nous ai donné pour penser. La télévision est devenu uniforme et ne donne, ou plutôt assène, qu’un seul point de vue sur la marche du monde, celui des gouvernants.


Dans Une Jeunesse allemande, un extrait montre le passage des lois liberticides d’Helmut Schmidt en 1975. Dans le film, on voit que sa position de chancelier permet de fixer lui-même un cadre légal. Il concentre à lui-seul, grâce à son pouvoir décisionnel, le pouvoir exécutif. Comment est-ce que vous percevez le personnage et son apport sur la politique d’aujourd’hui ?

Helmut Schmidt est un politicien moderne qui tranche avec les politiciens qui l’ont précédés. Schmidt est un personnage troublant, il était très séduisant mais aussi capable de dire les pires horreurs. Quand il parle du cadre légal de la démocratie par exemple, il énonce qu’on ne peut aller seulement que jusqu’aux limites que la démocratie impose et propose. Mais c’est idiot. Personne n’est capable de définir quelles sont les limites de la démocratie. La démocratie n’a que les limites qu’on lui donne quand on gouverne. C’est Schmidt qui fixe ces limites en tant que chancelier. Il était très habile puisqu’il arrivait à tenir un double discours : il semblait rassurant parce qu’il parlait de démocratie tout le temps alors qu’il n’arrêtait pas de la pousser dans ses retranchements.

Ce qui est étonnant, et que le film ne raconte pas, c’est que c’est un gouvernement de gauche qui édicte des lois liberticides alors réprouvées par le monde entier, dont Amnesty International et La Croix Rouge. C’est un gouvernement de droite, une fois revenue au pouvoir, qui détricotera toutes les lois votées par Schmidt parce qu’elles étaient considérées même par eux trop liberticides ou anti-démocratiques. Schmidt était allé trop loin, il a alors fait passer l’Allemagne de l’Ouest pour un des pays les plus réactionnaires du monde…

Il est un peu précurseur de ce qui va se passer avec des politiques comme Tony Blair, Schröder ou Manuel Valls, c’est à dire ces hommes qui se définissent de gauche mais qui sont très à droite et sont en parfaite contradiction avec l’histoire des partis auxquels ils appartiennent.

 

Flavien Auffret, Baptiste Erondel
Le Continu
22 octobre 2015
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